La question prioritaire de constitutionnalité : un accès salutaire à la norme fondamentale
La question prioritaire de constitutionnalité, QPC pour les intimes, a marqué une grande avancée dans le domaine du droit et de son accessibilité aux citoyens.
En effet, toute société qui se veut démocratique a pour fondement une loi fondamentale, qu'on appelle généralement Constitution. Toutes les lois prises ensuite doivent la respecter, tous les décrets qui en découlent doivent respecter les lois, etc.
C'est ce qu'on appelle la hiérarchie des normes : la loi doit respecter la Constitution, et les conventions internationales auxquelles la France est partie.
Officiellement, la Constitution, au sommet de la hiérarchie, prévaut sur les conventions internationales. Même s'il existe débat sur ce point, que nous n'aborderons pas ici.
Bref, la Constitution est au sommet.
C'est écrit.
Mais concrètement ?
La question se pose toujours en droit. Un texte pose ou prétend poser une norme. Soit. Mais ensuite, comment faire pour que ce qui est posé soit effectivement appliqué, ou respecté ?
Dans le cas de la Constitution, ceci était loin d'être évident.
Aux termes du deuxième alinéa de l'article 60 de la Constitution, relatif au Conseil constitutionnel, tel qu'il ressort de sa rédaction du 4 octobre 1958 :
"Les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier Ministre ou le président de l'une ou l'autre assemblée."
A l'époque donc, seuls le Président de la République (que la Constitution dote de larges pouvoirs pour orienter et/ou faire aboutir les débats législatifs, comme chacun sait désormais), le Premier ministre (qui généralement, dans le fonctionnement de la Vème République, suit le Président de République, qui l'a nommé), le Président de l'Assemblée nationale (issue de la majorité à l'Assemblée, normalement acquise au Premier ministre) ou le Président du Sénat (issu de la majorité sénatoriale) pouvaient transmettre au Conseil constitutionnel une loi pour qu'il se prononce sur sa constitutionnalité.
Si aucun d'eux ne le faisait, elle était promulguée, et on ne pouvait alors plus en contester la constitutionnalité. Quand bien même la question pouvait se poser.
Et encore, ceci était valable avant sa promulgation. Ainsi, toutes les lois promulguées avant octobre 1958 étaient de fait intouchables.
Et plus concrètement encore ?
Une loi constitutionnelle du 29 octobre 1974 a modifié cet alinéa de l'article 60 :
"Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs."
Cela signifie que l'opposition pouvait, à partir de 1974, soit 16 ans après la naissance de la Vème République, désormais saisir le Conseil constitutionnel.
A condition de pouvoir réunir 60 signataires d'une des deux chambres, ce qui est toujours une possibilité pour les oppositions, ou au moins pour l'une d'entre elles, lorsqu'elles sont plusieurs.
Cela semble être la moindre des choses, au regard de l'importance accordée à notre norme fondamentale.
Car curieusement, plus une norme est importante, plus les "importants" qui en sont à l'origine ont tendance à lui donner un caractère "spécialisé", et donc confidentiel de fait, en étant les seuls à pouvoir en demander son application.
Et pour les citoyens ?
Néanmoins, cela a changé par l'ajout d'un article 61-1 à la Constitution lors d'une réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 :
"Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé."
Il existe ainsi certaines conditions, notamment celle d'invoquer des droits et libertés que la Constitution garantit, qui n'est en réalité et en pratique pas une réelle restriction.
Et le lecteur attentif pourra constater que cette possibilité ne concerne que des lois promulguées, puisque invocables dans une instance judiciaire. C'est ainsi que beaucoup de lois ont été jugées a-constitutionnelles depuis l'instauration de la QPC, ce qui signifie qu'elles l'ont toujours été.
Quel bilan tirer de tout cela ?
D'autres conditions sont évoquées dans la loi organique qui complète cet article, sur lesquelles il n'est pas utile de revenir. Nous évoquerons simplement ici le fait qu'il n'est pas possible pour les justiciables (les usagers du service public de la justice) de saisir directement le Conseil constitutionnel, les juges qu'ils saisissent "à l'occasion d'une instance en cours", judiciaires ou administratifs, jouant un rôle de filtre pour vérifier si les conditions de transmission sont effectivement remplies. Cela pose des problèmes d'application, les juges pouvant confondre ce rôle de filtre avec la possibilité qui leur serait donnée de se prononcer en lieu et place du Conseil constitutionnel. Ce dont des membres dudit Conseil se sont émus.
Néanmoins, cette ouverture de la possibilité d'invoquer notre norme fondamentale à ceux qui sont censés pouvoir en bénéficier en premier lieu, les citoyens, fut un franc succès (plus de 1 000 QPC saisines du Conseil constitutionnel par la voie de la QPC en moins de 20 ans, contre moins de 1 000 saisines du Conseil constitutionnel par les autres voies en plus de 70 ans).
Et une réelle avancée du droit, dans son ensemble.
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